" Aide-moi à apprendre avec mes émotions ! " à la maternelle Barbanègre (19e)

école maternelle Barbanegre à Paris

Parfois démunie face à des situations de débordement émotionnel de ses élèves, l'équipe pédagogique de l'école maternelle Barbanègre au grand complet s'est engagée, depuis 2018, dans un projet pluri-annuel. Nul doute que l'implication et la créativité de l'équipe a permis de traverser collectivement l'épreuve du confinement, d'être mieux armée et d'aborder le retour en classe avec l'envie de continuer d'inventer et collaborer pour faire grandir le projet.

Comment apporter, en équipe, une réponse adaptée à un enfant débordé par ses émotions ? 

Lors d'un conseil des maîtres en 2018, l'équipe pédagogique s'est sentie démunie face à la multiplication de débordements émotionnels de la part des enfants au sein de l'école. Comment faire pour apporter la réponse adaptée lorsqu'un enfant "explose", hurle, s’enferme dans une grande colère ou tristesse, une émotion telle qu'il ne peut plus apprendre? Si les enseignantes échangeaient sur leur manières de répondre en classe, en revanche aucune réflexion commune ne permettait alors d'apporter une réponse structurée, cohérente et harmonisée au sein de l'école. 

L'équipe a exprimé le besoin d'apport de connaissances et de formation (théoriques et pratiques), d'accompagnement dans la mise en oeuvre du projet (étapes, évaluation), d'aide à l'évaluation (mesurer les effets sur les élèves et l’équipe enseignante), mais aussi de moments de rencontres et d’échanges avec d’autres porteurs de projets. La question du lien avec les animateur.trice.s du périscolaire ainsi qu'avec les autres écoles du REP a été également posée. La CARDIE a été sollicitée pour un accompagnement en collaboration avec l'Inspecteur de l'Education nationale, Monsieur Gontrand Boulanger.

Dans une recherche de cohérence, l’équipe a souhaité apporter une réponse systémique à l’échelle de l’école. Apprendre à mieux accueillir les émotions des élèves, les aider à mieux les exprimer et les réguler pour mieux apprendre ; apporter des réponses adaptées à chaque situation en recherchant à les harmoniser, les mutualiser, construire et partager différents outils pour apaiser les relations y compris entre adultes. Des propositions pédagogiques, outils et ressources sont ainsi mis en partage comme "la boîte à émotions", la cabane à émotions, les thermomètres ou la roue des émotions, l'atelier de réparation, etc. 

 

"Dessin de réparation" dans le bureau de la directrice, Hélène Montage
Photo : Agnès Pernet

Formation et mise en réseau

Depuis 2018, c'est ensemble que les huit enseignantes, la directrice, les ASEM, les animateurs, ont choisi de se former sur différents axes : communication bienveillante, discipline positive, pratiques corporelles de bien-être, compétences psycho-sociales, résilience assistée... Cette dynamique s'étend aujourd'hui à d'autres écoles du REP Mozart.
L'IEN et la conseillère pédagogique de circonscription, la coordinatrice REP et l'appui de la Cardie ont facilité l'ouverture à un territoire élargi ; les échanges de pratiques au sein du groupe de développement professionnel "Bien-être" avec des établissements du 1er et 2nd degré de l'académie de Paris ont facilité cette mise en réseau.
 

Accompagnement par la recherche

Depuis la rentrée 2019, Pascale Haag accompagne l'équipe pédagogique dans un dispositif de recherche-action  en collaboration avec l'EHESS, l'UCP (laboratoire BONHEURS) et le Lab school Network dans le cadre du projet Erasmus+ LabSchools Europe, menée sous l’égide de la CARDIE en concertation avec l'IEN de circonscription.

L'objectif de la recherche-action pilotée par Pascale Haag était d’accompagner la mise en place du dispositif et la réflexion de l’équipe lors de réunions organisée une fois par période. La question des émotions, de sa transversalité dans nombre d'activités en classe et les attendus du socle commun en fonction du développement de l’enfant ont été rappelés.

Les données ont été collectés sous forme de prises de notes durant les conseils des maîtres, complétées par des entretiens avec la directrice et un questionnaire complété en début d’année par l’ensemble de l’équipe l 

La question des étapes du développement émotionnel de l'enfant, l'utilisation de la "boîte à émotions", outil construit et mis en oeuvre par l'équipe pédagogique, et la gestion des propres émotions des enseignantes ont constitué les points privilégiés de l'accompagnement de la recherche.

Rédaction d’un livret sur les émotions

L’IEN a mis en avant l’importance de l’apport de cadres théoriques issus de la recherche. À cette fin, Pascale Haag et Lisa Cognard (étudiante stagiaire du Lab School Network) ont rédigé un livret, avec  concours de Margot Le Lepvrier, présentant les regards sur la question des émotions portés par la recherche dans différentes disciplines (psychologie, sociologie, histoire, etc.) et l’ont présenté au fur et à mesure de sa rédaction lors des rencontres. Les enseignantes avaient exprimé le besoin de mieux connaître les différentes étapes du développement émotionnel de l’enfant, ce à quoi Pascale et Lisa se sont efforcées de répondre dans le fascicule : "Les émotions. Mieux les connaître pour mieux les prendre en compte à l’école et dans la vie".

L’usage de la "boîte à émotions"

L’un des objectifs de l’année était d’harmoniser les pratiques des enseignantes aussi bien au niveau de la communication que des dispositifs proposés aux enfants, afin de leur offrir un cadre cohérent et sécurisant. Les réunions ont permis de recenser l’ensemble des actions, en se centrant en particulier sur un dispositif commun : la « boîte à émotions ». Cette boîte, qui contient divers objets (voir-ci-dessous), est destinée à aider les enfants à réguler leurs émotions. Elle est présente dans toutes les classes de l’école ainsi que dans le bureau de la direction et représente un outil commun à toute l’école qui suit également les élèves dans le temps, complétant les autres activités mises en place tout au long de l’année.

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Exemple de contenu de la boîte à émotion

La boîte est co-construite par les enseignantes et leurs élèves. Elle contient différents objets que les enfants ont jugé utiles pour leur permettre de réguler leurs émotions, comme du papier à déchirer avec une boite à colère qui mange le papier déchiré et la colère, des plumes, un doudou, un miroir, un sablier, des balles anti-stress,... Le contenu est susceptible de varier légèrement suivant les classes, ainsi que l’endroit où elle est placée dans la classe – dans un « coin du retour au calme », sur une petite table.

L'un des objectifs de recherche était également d’étudier ce que disent les enseignantes de l’évolution de l’utilisation de la boîte au fil de l’année : durant la première période, dans toutes les classes, la boîte était présentée aux élèves, qui pouvaient l’explorer à certains moments de la journée, par exemple, au moment de l’accueil, sans en réserver l’usage aux moment où ils se sentent submergés par une émotion. Progressivement, l’objectif a été compris et à partir des vacances de la Toussaint ou au début du deuxième trimestre selon les classes, des règles d’utilisation ont été définies : à quel moment utiliser la boîte, combien de temps – rendu visible par un sablier –, par un seul élève ou avec la possibilité d’être à deux, prévention de « détournements » du dispositif, tels que des stratégies d’évitement du travail, etc.

L’appropriation de l’outil a varié au cours de l’année, selon les classes et l’âge des élèves, mais aussi selon les personnalités des élèves. Ayant observé que certaines enseignantes étaient plus convaincues que d’autres de l’utilité de cet outil, la question a été posée de savoir comment les enseignantes présentaient la boîte à émotions et comment elles régulaient leurs propres émotions en recourant ou non à des techniques identifiables par les élèves (modélisation) et les effets eventuels sur l’usage de la boîte. Mais répondre à une telle question impliquerait des observations dans les classes.

Le bien-être des enseignantes

Accompagner le développement émotionnel des élèves au quotidien est éprouvant aussi pour les enseignantes. Afin de créer un environnement aussi favorable que possible à leur bien-être, des actions simples ont été mises en place et leur effet  discuté lors des rencontres  :

  • l’aménagement dans les toilettes (« le seul endroit où on a deux minutes de silence, où on peut être tranquille, sans être sollicitée ») : des galets sur le lavabo, des boutures de plantes qui ont poussé au cours de l’année et des photos de paysages au mur ;
  • installation d’un panneau de « seaux à mots gentils » dans la salle des profs, où chacun peut laisser un petit mot à des collègues dans un gobelet ; voici quelques exemples de retours d’expérience, y compris en dehors de l’école : « ce n’est pas simple d’écrire des choses positives aux autres », « on n’a pas l’habitude », « il y a plein d’écoles où ce ne serait vraiment pas possible de faire ça », « je ne jette pas les petits mots, je les garde et ça me fait du bien de les relire, et à la maison, mes enfants sont curieux et viennent regarder ce que mes collègues m’écrivent ! »

  • Recensement des ingrédients du bien-être des adultes :

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Un premier constat à la fin de cette première année a été que l’outil « boîte à émotion », qui était initialement le « projet-phare », l’élément structurant et fédérateur sur la base duquel les enseignantes avaient décidé d’harmoniser les pratiques, répondait effectivement aux besoins de certains enfants à certains moments, mais qu’il était loin d’être le seul et qu’il était important donc de multiplier les propositions pour permettre à chacun de trouver les techniques qui lui conviennent le mieux.
D’autres pistes ont ainsi été explorées avec les élèves : la fabrication d’un « baromètre » ou d’une «roue des émotions», la proposition régulière de pratiques psycho-corporelles comme la respiration, la relaxation, le yoga, etc pour faciliter le retour au calme, l’enrichissement de leur lexique à travers des histoires, des ateliers philos ou le « tour des gentillesses » pour permettre une meilleure identification des émotions et faciliter leur expression, tout en tenant compte de la diversité culturelle des élèves.
Enfin, la place des parents a été régulièrement évoquée lors des rencontres, mais la situation sanitaire n’a pas permis de mettre en place d’action concrète pour les associer au projet.  

Un projet qui prend de l'ampleur !

Depuis la rentrée, les classes, petit à petit, réouvrent les coins et boîtes à émotions. De nouveaux objets sont venus les compléter (comme les casques anti-bruit). Les pratiques de yoga et bien-être  sont également au centre du projet de rentrée autour des rêves.
Plus spécifiquement, pour les grandes sections, L'équipe envisage un travail sur leur cour de récréation en élémentaire car les enseignantes constatent beaucoup de bousculades et jeux de bagarre (les deux grandes sections, faute de place dans l'école maternelle, sont situées dans l'enceinte de école élémentaire).
La poursuite des débats philo en lien avec l'élémentaire ainsi que la formation "message clair" sont prévus.
Pour tous les niveaux, l'équipe continue la prise en compte et la verbalisation des émotions (besoin très fort en cette rentrée bousculée), et plus généralement la mise en mot des problèmes rencontrés et des solutions à trouver ensemble...

🗣Un projet qui fait parler de lui :
Éduquer aux émotions, oui, mais pour quoi faire ?, Revue Sciences humaines n°337, juin 2021
"Hélène Montagne : Aide moi à apprendre avec mes émotions", Le Café pédagogique, 28/04/2021

Mise à jour : avril 2022